FRANCE : DROIT DE VOTE DES ÉTRANGERS

Publié le par Céphas MABADA-MABAYE - Pasteur

Dimanche 11 décembre 2011 à 06h00 | Mis à jour le 11 décembre 2011 à 09h31
Par Pierre Tillinac

Faut-il être français pour pouvoir voter ?

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La question du vote des étrangers qui ne sont pas européens est posée en France depuis plus de quarante ans. Les promesses n'ont jamais été tenues.

« Sud Ouest Dimanche ». Le vote des étrangers hors Union européenne divise les Français depuis longtemps. Quand la question a-t-elle été évoquée pour la première fois ?

Hervé Andrés (1). C'est effectivement un très vieux sujet. En 1972, le programme commun de la gauche proclamait : « Les travailleurs immigrés bénéficieront des mêmes droits que les travailleurs français. La loi garantira leurs droits politiques, sociaux, et syndicaux. » Dans les années 70, le PSU ou la Ligue communiste ont aussi milité pour que ces étrangers puissent voter. En 1978, le Parti socialiste avait inscrit la question dans son programme. En 1981, Mitterrand s'y était également déclaré favorable. Il y a donc quarante ans que l'on parle de cette question mais on en a aussi débattu à d'autres époques, sous la Révolution française ou pendant la Commune.

Le débat se résume-t-il à une opposition droite-gauche ?

Cette semaine, au Sénat, oui. Mais à un moment ou un autre, de nombreuses personnalités de droite se sont prononcées en faveur du droit de vote des étrangers non communautaires.

On pourrait constituer un gouvernement de droite uniquement avec des personnes qui ont un jour accepté ce principe. On y retrouverait Nicolas Sarkozy, Jean-Louis Borloo, Brice Hortefeux, etc. Les centristes comme François Bayrou, eux, sont favorables depuis plusieurs années.

À gauche, quelqu'un comme Chevènement a aussi évolué. S'il y a été un moment favorable, il ne l'est plus. De façon plus générale, la gauche est tout de même très largement pour le vote des étrangers mais elle traîne la question un peu comme un boulet, puisqu'on lui reproche de ne pas avoir tenu la promesse de François Mitterrand.

Quelle est la question centrale dans ce débat ?

La vraie question de fond est la suivante : est-ce qu'on considère que pour être citoyen il faut forcément avoir la nationalité française ? Or, en accordant le droit de vote aux étrangers membres de l'Union européenne, on a de fait dissocié nationalité et citoyenneté et créé une double discrimination.

Aujourd'hui, un Suédois qui arrive en France peut s'inscrire sur les listes électorales et voter à une élection municipale. On ne lui demande pas de parler français ou d'avoir passé un certain nombre d'années dans le pays. Un Marocain qui vit en France depuis trente ans et qui y construit des routes, lui, n'en a pas le droit.

Quels sont les arguments de ceux qui sont favorables au vote des étrangers ?

Ils considèrent que c'est une question de justice et de démocratie. À partir du moment où ces étrangers participent à la vie locale, ils deviennent de facto des citoyens.

C'est l'idée de citoyenneté de résidence qui permet de dissocier citoyenneté et nationalité. Si l'on a deux mots différents, c'est bien qu'il y a deux réalités différentes.

Sur quoi les opposants fondent-ils leurs réserves ?

Jeudi au Sénat, François Fillon a affirmé que ceux qui sont favorables au vote des étrangers prennent le risque de vider la nationalité et la citoyenneté de leur substance. Ils considèrent que les deux mots recouvrent une même chose. Mais d'autres arguments sont aussi mis en avant et le ministre de l'Intérieur est même allé jusqu'à parler de maires étrangers, ce qui n'est pas du tout prévu dans le texte voté au Sénat. Je me demande si derrière le refus du droit de vote des étrangers, ce n'est pas le rejet des étrangers tout court qui est en question…

Les étrangers non communautaires disposent malgré tout dans certaines villes d'instances chargées de les représenter. Quelle est leur importance ?

Les premières structures de concertation ont été mises en place il y a déjà très longtemps. Au cours de ces dernières années, elles se sont multipliées. Souvent dans des villes de gauche, mais pas seulement. Je pense que ces instances, qui peuvent prendre des formes différentes, ont permis d'enraciner la revendication du droit de vote des étrangers avec le soutien de mairies importantes, comme Paris, Lille, Strasbourg et beaucoup d'autres.

Quelle est la situation dans les autres pays ?

Dans le monde, une soixantaine de pays, au moins, reconnaissent d'une façon ou d'une autre un droit de vote aux étrangers, et pas uniquement pour des élections municipales. Le droit de vote des étrangers n'est pas du tout une exception européenne. Il existe sur tous les continents.

Les pays européens sont-ils nombreux à accorder le droit de vote aux étrangers non communautaires ?

Plus de la moitié. Le cas de l'Espagne est intéressant. Son système est basé sur la réciprocité. Elle a mené une offensive diplomatique pour accorder le droit de vote aux ressortissants des pays qui autorisent les Espagnols à voter. Comme de nombreux États sud-américains le font, l'Espagne a pu accorder ce droit aux ressortissants de ces pays et c'est la raison pour laquelle la majorité des étrangers présents sur le territoire espagnol peuvent aujourd'hui voter. Mais ce processus a aussi eu un impact sur le Maroc, puisque de nombreux Marocains vivent en Espagne. La Constitution qui a été adoptée par référendum cet été ouvre la voie au droit de vote des étrangers au Maroc et pas seulement pour les Espagnols.

(1) : Hervé Andrès est ingénieur d'études au CNRS. Il est membre de l'unité de recherche Migration et société. Il a également soutenu en 2007, à l'Université Paris 7 Denis-Diderot, une thèse de doctorat de sciences juridique et politiques sur "Le droit de vote des étrangers, état des lieux et fondements théoriques". Il est l'auteur de nombreux articles sur le sujet.

55% des Français sont favorables

NOTRE SONDAGE. Sortie victorieuse des sénatoriales de septembre, la gauche, notamment le PS, veut instaurer le droit de vote et d'éligibilité pour les étrangers non européens lors des élections locales. Le projet, adopté cette semaine par le Sénat, a suscité un vif débat entre la gauche et la majorité présidentielle, fortement opposée à cette hypothèse. Pour « Sud Ouest Dimanche », l'Ifop a interrogé les Français, lesquels souhaitent à 55 % l'instauration de ce droit de vote aux élections locales pour les étrangers non européens. Près d'un Français sur cinq se dit même tout à fait favorable (18 %). Néanmoins, la part des opposants à cette avancée législative n'est pas négligeable (45 %, dont 22 % se déclarant très opposés).

On relève deux lignes de fracture. L'âge constitue un premier facteur de différenciation : les moins de 35 ans sont pour à 67 %, le soutien à ce droit de vote tombe à 56 % chez les sondés de 35 à 49 ans, et il devient minoritaire chez les plus âgés (42 % chez les plus de 65 ans). Le clivage partisan est sans surprise : le droit de vote des étrangers fait l'objet d'une très forte adhésion à gauche (76 %) et d'un vrai refus à droite (dont 63 % auprès des proches de l'UMP et 79 % parmi les sympathisants du FN).

Source : http://www.sudouest.fr/2011/12/11/faut-il-etre-francais-pour-pouvoir-voter-577838-710.php#xtor=EPR-260-[Newsletter]-20111211-[zone_info]

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